Rudy Rigoudy // Artiste - Enseignant - Designer
Rudy Rigoudy // Artiste - Enseignant - Designer

Instagram

 

@rudyrigoudy

A l’instar du manuscrit original du roman Sur la route de Jack Kerouac – écrit d’une traite à la machine à écrire sur un rouleau de 36 mètres de long – la page d’accueil d’un compte Instagram se déroule à la verticale. A la différence du manuscrit de Jack Kerouac qui reste unidirectionnel – comme pour évoquer un aller sans retour vers un territoire d’expériences toujours à l’horizon -, il est possible de faire des allers-retours sur un mur Instagram et de flâner dans ce qu’il raconte.

Au niveau structurel, les images miniatures – de format carré – s’empilent sur le mur, au fur et à mesure des publications de l’utilisateur, par lignes sur trois colonnes. De fines marges blanches les séparent et matérialisent une grille. A l’intérieur du cadre de l’écran du smartphone – interface de prédilection pour la consultation et l’utilisation d’Instagram -, cette grille projette l’espace sur lui-même. Chez certains utilisateurs, cet espace est un espace narratif signifiant, révélateur de la recherche d’une mise en cohérence de l’ensemble de leurs publications. En parcourant les images présentées, une identité visuelle émerge par défilement. Voir par exemple les comptes : @delaphanmistery, @instagrid ou @paulthompsonstudio (il y en a pleins d’autres ! Et certains inventent des systèmes de navigations rhizomique comme @rickandmortyrickstaverse).

Au-delà du storytelling autofictionnel constitué d’images-instants, ce sont des triptyques ou des #instagrid – des images divisées en trois, six ou neuf fragments – qui ont retenus mon attention. Ces images fragmentées en unité carré sont construites par multiple de trois. Elles habillent et habitent la grille. Ce qu’elles représentent intègre et révèle à la fois le support sur lequel elles prennent corps. Ce sont les briques d’un mur qui peut être envisagé comme la trame d’une narration fragmentée. Tels les documents présentés dans les vitrines de La vie impossible de Christian Boltanski, les fragments autobiographiques qu’elles représentent s’appréhendent d’abord par l’ensemble qu’ils constituent. Ce n’est qu’en cliquant sur une image que l’on accède aux traces sensibles – localisation, titre, descriptif, hashtag, liens, likes, commentaires – et à la mémoire qui leur est associée. Les éléments de ces récits autofictionnels défilent sur deux niveaux – de haut en bas et d’avant en arrière – à la vitesse des mouvements impulsés par le doigt qui les explore à travers le cadre de l’écran.

A partir de ces réflexions et depuis le début de ma présence sur cet espace de la web-intimité, mon intention est double :
– me raconter en images, en m’inspirant librement des formes artistiques du récit de soi.
– m’approprier et révéler les caractéristiques structurelles d’un mur Instagram, à partir d’une déclinaison de contraintes plastiques et conceptuelles – impliquant des multiples de trois.

Mon mur Instagram est ainsi, comme le carton perforé d’un orgue de barbarie, la partition – ponctuée de notes visuelles – d’une ballade autobiographique. L’idée est d’installer, dans la structure du mur, plusieurs séries qui s’imbriquent et se répondent par module et par séquence. Ce sont les notions d’empilement, d’alternance, d’alignement, de liaison, de fragmentation et de superposition, qui, pour l’instant, m’ont permis de mettre en œuvre ce principe.

La première séquence est constituée des séries Ellipsis, What’s up ? et Next horizon. La deuxième s’étire de One way out à Summer is over. Ensuite, le module Tic tac toe et la séquence Lullaby sont dédiés à mes enfants. Nourri par les jeux auxquels nous jouons avec mon fils aîné, Tic tac toe (jeu du morpion en français) fait parti de mes premiers tâtonnements lorsque j’ai commencé à produire cette œuvre sur Instagram. L’alternance de croix et de cercles – pour former une ligne dans une grille de neufs carrés – s’adapte à la structure du mur et la révèle. Lullaby est une idée qui m’a trotté dans la tête pendant quelques semaines. C’est l’évocation, dans cette recherche, du carton perforé d’un orgue de barbarie qui m’a poussé à imaginer une partition visuelle qui se déploie sur mon mur. Chaque soir, lorsque je fredonnais la berceuse Lullaby de Brahms à mon fils cadet pour l’endormir, j’essayais de visualiser la transcription de la mélodie en images – en fonction des contraintes que la structure du mur impose. Le résultat est donc la transcription de la partition de Lullaby pour ukulele.

Les séries, modules et séquences suivantes s’inscrivent dans la continuité de ces recherches et, parfois, renvois à d’autres œuvres que je produis. C’est le cas pour (T)HERE ou REMEMBER par exemple…

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